J’avance lentement
la colère l’allégresse reconnues
jour pour jour et dent pour dent
voici l’heure qui remue
la nuit sonne
ce sont les sabots de ceux qui s’en vont
en mer marteler les vagues du poids de leur corps
de leurs poings de toute leur croyance en la vie
secouer les tiroirs sans fond
leur vérité n’a pas de prix
elle est le rire sans paresse
elle conduit l’audace du monde
elle fait monter à la lumière
les monceaux de lumière
arrachés aux louvoyants baisers du goémon
elle est le chant armé aux franges de lumière
il n’y a qu’un homme pour entendre
au plus fort de la bagarre
tendre cri du nourrisson
l’avenir crier plus fort
et les lames fulgurantes
amoncellent les clartés montantes
entourée de mille langues promises
joie j’ai pu te deviner
réinventer ton éblouissement
jusqu’à ton image sur terre
me fut cachée sous les déchets des grimaces
les lambeaux pestilentiels de la mort
(…)
comme cri perdu de goéland
je t’ai perdue peine profonde
le vent la nuit
c’est vrai j’avance lentement
mais dans chaque visage riant
s’est découvert prunelle de mes yeux
mon amour
l’amour présent et l’avenir
le poids du monde
Tristan Tsara
In Le poids du monde
Éditions Au colporteur, 1951